« Et voilà, encore une journée passée à travailler devant l’ordinateur. C’est l’été, je suis dans un lieu magnifique, il fait beau, et je ne peux pas sortir. Je ne profite pas de mon temps à la montagne ! Tant pis, jeudi soir à 17h, je monte passer la nuit là-haut. Une faible chance d’orage vers 20-21h ? J’aurai atteint le refuge avant ! »
Nous voilà en août 2021, et c’est mon premier été depuis que je vis en Haute-Savoie. Travaillant comme Webmaster à l’Office de Tourisme du coin, je suis assez frustré de ne pas pouvoir aller en montagne, alors que j’étais venu dans la région pour cela. Alors, refusant de me montrer fataliste, je m’organise ma propre aventure post-bureau avec l’idée d’être de nouveau frais le lendemain. Si l’idée n’était pas si mauvaise, l’exécution va quant à elle laisser à désirer.
Une succession d’erreurs
Dans la préparation…
Nous voilà le jeudi après-midi en question. Je termine mon travaille et saute dans la voiture pour rejoindre le point de départ de ma rando. Mon objectif : atteindre le Refuge de la Dent d’Oche dans la soirée, passer la nuit là-bas, faire le sommet le lendemain et être de retour à temps pour le travail. Jusque-là, tout va bien, sauf que depuis mercredi, ils annoncent qu’il y a une probabilité d’orage (30-40%) dans le coin, vers la fin de soirée. Et c’est là que survient ma première erreur : ne pas reporter mon projet.
Comme dans la randonnée
Pourtant, j’ai eu plusieurs fois l’occasion de renoncer. Encore peu expérimenté en montagne, je me surprends à croire que les fils et barrières qui servent à garder les troupeaux dans les pâturages sont là pour empêcher les randonneurs de prendre le sentier, ce qui m’amène à faire plusieurs détours inutiles. Me voilà donc en retard à mon premier checkpoint : les Chalets d’Oche. Je m’arrête boire un verre et l’exploitant me prévient que si je veux atteindre le refuge avant l’orage, je ferais bien de me dépêcher.
Je prends encore quelques minutes pour souffler et je reprends ma route. Malheureusement, n’ayant jamais été plus haut que les Chalets d’Oche jusqu’à ce jour, je me trompe de chemin et vise Le Château d’Oche que je pense alors être une étape intermédiaire pour accéder au Refuge. Après tout, « château », « refuge », « chalets », quand on est un touriste comme moi, cela peut signifier la même chose.
Eh bien pas de bol, je ne l’avais pas vu mais le panneau directionnel vers le refuge pointait vers le sommet et un chemin qui était plus discret. Me voilà donc à monter dans la mauvaise direction, dans un endroit où je n’aurai pas d’abris, alors que le ciel s’assombrit de plus en plus. Car oui, avec l’aide des nuages sans doute, mais aussi bien sûr celle des montagnes, il aura fait nuit plus vite que prévu. La visibilité diminue de plus en plus et arrive rapidement le moment où je ne sais plus où je suis ni où je dois aller. J’essaye à plusieurs reprises de contacter le refuge mais le réseau ne passe pas.
Le début du cauchemar
Il ne fait pas encore tout à fait noir, je sens l’atmosphère changer. Je n’ai plus le choix : je dois redescendre, et vite. Alors, je me grouille, malgré la fatigue entraînée par mes deux heures de montée. Et bien sûr, en bon touriste que je suis, je n’arrive pas à prendre exactement le même chemin qu’à l’aller. Aussi, je ne parviendrai pas à rejoindre les Chalets d’Oche.
Voilà, il fait nuit, la tempête bat son plein. J’ai préparé les équipements pour ce genre de situation : j’ai ma veste en gore-tex qui me tient au sec, des couvertures de survie, une lampe frontale… Mais au fait, où est-elle ? Impossible de mettre la main dessus ! Ce n’est pas possible, j’étais sûr de l’avoir. Tant pis, cela se jouera à la lumière du téléphone, que je dois garder au sec autant que possible.
Impossible de s’arrêter ou de faire demi-tour
Et si je m’arrêtais au milieu du chemin et que je m’enroulais de ma couverture de survie ? Cela promettrait une nuit désagréable mais au moins, je ne risquerais pas de faire une chute. Mauvaise idée, la pluie est trop forte, les coulées de boue peuvent me mettre à mal et l’humidité du sol m’expose au risque d’attraper une pneumonie, au milieu des montagnes et sans réseau. Je continue mon chemin, éclairé à courte distance par ma lampe et à plus longue distance, l’espace d’une demi-seconde, par les éclairs qui illuminent les montagnes. Bon sang, j’espère ne pas me prendre un coup de jus.
Me voilà donc à 1800 mètres d’altitude, dans la nuit noire, sous une pluie infernale avec l’orage et les éclairs pour seules compagnie. Je marche aléatoirement dans les sentiers de randonnée, espérant rejoindre le village ou ne serait-ce que l’habitation la plus proche. Ah ! Voilà un panneau directionnel ! Qu’est-ce que j’aime ces panneaux, c’est peut-être ce que je préfère dans la région. Il m’indique « Vacheresse : 2h50 ». Bordel, 3h dans un chemin que je ne connais même pas, quel enfer. Alors, je vois en dessous « Chalets de Darbon : 30 minutes ». OK, là ça ressemble à un abri. On y va.
En route vers un lieu-dit qui pourrait me sauver
Et c’est donc toujours dans cette ambiance apocalyptique que je continue mon chemin vers ce qui serait théoriquement un lieu avec des maisons. Je me voyais déjà toquer à la porte des habitants et demander l’hospitalité, voilà quelque chose que je ne m’étais jusqu’alors jamais imaginé de faire. Enfin, après tout peut-être serais-je bien reçu avec une soupe chaude par nos bons gens du pays ? Mais quel touriste je fais ! Les gens ne vivent généralement pas dans leurs chalets d’altitude, davantage créés pour les bergers en alpage et qui fait aujourd’hui généralement office de résidence secondaire. Aussi, et notamment par ce temps, je ne risquais pas d’y trouver qui que ce soit.
Me voilà toujours à galérer pendant de longues minutes, à bien faire attention à ne pas quitter le sentier, avec juste cette lampe de téléphone pour m’éclairer… Quand, enfin, le miracle : Les Chalets de Darbon indique ce nouveau panneau. Génial ! J’y suis, il devrait donc y avoir des chalets là ! Non. Là ? Non plus. « MAIS PUTAIN C’EST QUOI CE PLAN ! » Aucun chalet en vue. Situation désespérée, j’essaye donc de contacter les secours. Pour les numéros d’urgence, le réseau devrait se forcer à passer, non ? Non. Impossible de les joindre.
Par la lumière, la salvation
Soudain, un éclair survient. Le lieu s’illumine. J’aperçois de manière fugace ces fameux chalets tant vantés par les panneaux de randonnée. Ils étaient à seulement une dizaine de mètres du sentier mais il m’était impossible jusqu’alors de les distinguer. Je note bien dans ma tête la direction et je m’y rends d’un pas décidé. Me voilà au milieu des chalets, je gueule « Y’a quelqu’un !? À l’aide ! Oh ! Y’a quelqu’un ? » et je tambourine à toutes les portes, bien fermées et verrouillées.
Et c’est là que j’aperçois un toit de terrasse, et en dessous de cette invention de génie, de la terre sèche. Voilà où je vais pouvoir passer la nuit. À même le sol donc, mais avec quand même mon sac de couchage (que j’avais pris pour le refuge) ainsi qu’une couverture de survie. Je vais donc coller le couverture de survie à l’intérieur du sac et autour de moi, pour bien rester au sec.
Intéressé par la survie, j’avais appris par le biais des vidéos de Mike Horn que rester sec était la priorité numéro un pour ne pas avoir froid. Il avait également montré qu’on pouvait s’enrouler complètement de la couverture de survie et allumer une bougie à l’intérieur pour se réchauffer. J’avais donc également cet équipement dans mon sac mais n’en ai pas eu besoin.
Ma veste Gore-Tex avait fait son travail et malgré le fait que j’étais en short tout du long, je n’avais plus qu’à dormir en caleçon. Et voilà, une belle nuit d’été en extérieur. Pas du tout comme je l’avais imaginé certes, mais au moins, me voilà en sécurité. Je n’avais plus qu’à attendre l’aube pour retrouver mon chemin et retourner en direction des Chalets d’Oche, puis de Bernex.
Du mental pour une matinée difficile
Le chemin du retour fut difficile, surtout après la fatigue liée à l’aventure d’hier soir. Je dus d’ailleurs m’y reprendre à deux reprises pour trouver le bon chemin, le premier m’ayant amené admirer le splendide lac de Darbon. Peu après, ce sera le soleil qui tente d’avoir ma peau. Malgré qu’il ne soit que 9 ou 10h du matin. Il fait déjà très chaud. Heureusement, j’ai assez d’eau sur moi et également un sac d’assortiments de fruits secs pour regagner de l’énergie. C’était ma « nourriture de survie » que je prenais toujours sur moi au cas où un événement similaire se produisait.
Je dus m’arrêter plusieurs fois sur le chemin mais je m’approchais lentement et sûrement du col qui allait me remettre du bon côté de la montagne pour entamer ma descente. C’est d’ailleurs en franchissant ce col que le réseau revint. Je pus lire par les SMS reçus que le refuge avait cherché à contacter les secours ce matin. Je m’empressa donc de les appeler pour leur assurer que tout allait bien.
S’être mis en danger inutilement
En arrivant aux Chalets d’Oche, et bien que j’avais honte de moi, je fis part de ma mésaventure au gardien et aux quelques clients qui commençaient leur journée-promenade. Je fus gentiment sermonné quant au fait que j’aurais dû demander mon chemin mais qu’au moins, j’avais vécu une expérience qui m’apprendra à ne plus répéter ce genre d’erreur.
Une fois à la voiture, il ne resta plus qu’à rentrer chez moi pour attaquer ma journée de boulot… Qui ne fut pas très productive je dois l’admettre. En rangeant mes affaires une fois à la maison, je sens ma lampe frontale au fond de mon sac. Elle s’était bien gardée de m’aider, la coquine. Désormais, elle sera toujours en haut.
Je ne suis pas fier de mon aventure. Je m’en suis voulu d’avoir sous-estimé la météo, ainsi que la randonnée en elle-même. J’ai fait une série de mauvais choix qui ont pu être rattrapés de justesse par mon équipement et mes maigres connaissances. C’est vraiment terrifiant d’être là-haut par temps d’orage. Les chemins ne sont pas les mêmes dans la tempête, la boue coule et vous met en danger. Le manque de visibilité manque de vous faire marcher dans le ravin. Et qui l’aurait cru : les éclairs ont été mes meilleurs alliés.
2 ans après cet épisode, nous sommes allés randonner avec Telma de l’autre côté du lac Darbon, toujours dans cet endroit magnifique et sauvage : Randonnée avec les bouquetins, entre Bise et Darbon.